Elle ne rentra pas seule

Il faisait froid dehors, la pluie battait aux carreaux du petit studio situé au sommet d'un des plus jeune immeuble de la ville.
Bien que la cage d'escalier était sombre et qu'il n'avait pas d'ascenseur pour monter les sept étages, même la porte d'entrée donnait un peu plus de chaleur que la place battue par les vents.
Quand Stella poussa la porte, ce ne fut pas pour révéler un appartement d'une blancheur immaculée, aussi froide que l'hiver ni le studio type de l'étudiant négligeant qui a plus à faire avec ses études qu'avec le rangement.
Il était propre et chaleureux, le rouge et le cuir était dominant dans le petit deux pièces qu'elle habitait depuis un an.
Elle aimait le confort et avait économisé longtemps pour se payer des meubles digne de ce nom. Afin aussi peut être de ne ressembler en aucun point à la maison de son père. Une personne douée de raison n'aurait pu habiter dans la maison qui avait accompagnée son enfance. Au milieu du linge sale et de la vaisselle qui ne sera jamais faite. Elle avait bien essayé de ranger, mais ce n'était que pour retrouver plus de cannettes et de morceau de pizza le lendemain matin. Sa chambre avait toujours été impeccable, même si son père tentait d'y entrer pour poser quelque chose qui n'avait pas de place tant le désordre régnait dans les autres pièces, elle le repoussait sans ménagement, quitte à s'attirer une claque où autre impacte physique et morale.

Elle enleva ses chaussures détrempée et frictionna vigoureusement Lou avant de l'autoriser à entrer et à aller s'allonger dans son panier.
Elle s'occupa ensuite de Alec, lui passant un gros pull qui avait du appartenir à Tristan, son ancien petit ami. Il était trois fois trop grand pour lui mais au moins, le garçon aurait plus chaud qu'avant.
Elle se dirigea vers la minuscule cuisine et commença à faire chauffer du lait, y ajoutant du miel. Elle tandis une tasse à Alec tout en mettant le reste de lait dans la gamelle de Lou qui jappa joyeusement avant d'aller avidement lécher le liquide épais et moussu.
Elle s'assit sur le bar et mit sa tête entre ses deux mains, souriant légèrement :
- Ca va mieux Alec ?

Alec eut un sourire amusé à la remarque de la jeune fille. Oui, c’était tout à fait vrai… Le chien n’avait pas besoin de ses yeux pour savoir où il se trouvait. C’était ce qui l’avait toujours fasciné, chez les animaux. Le petit garçon fixait sur Lou un regard fluo brillant, se demandant soudainement s’il pourrait avoir un chien, lui aussi. Peut-être se sentirait-il moins seul… Il n’avait pas l’impression de souffrir de la solitude, sauf lorsqu’on lui rappelait qu’il était seul. L’enfant esquissa une petite grimace en constatant que le regard de Stella, pourtant rivé dans une direction qui n’était pas loin de son visage… n’était pas complètement vers son visage. Cela lui fit plus mal qu’il ne voulut l’admettre.

Elle ne le voyait vraiment pas, malgré tous ses efforts… Mais cela ne parut pas la déranger ou la blesser, ce qui rasséréna légèrement l’enfant. Elle lui assura ne pas vouloir lui faire du mal, et il ne put qu’approuver de la tête, déjà persuadé que cette jeune fille ne ferait pas de mal à une mouche. La main serrée dans celle de Stella, l’enfant la suivit, vérifiant machinalement derrière lui qu’il n’oubliait pas son sac, avant de se rappeler que c’était sa nouvelle amie qui l’avait avec elle. Après une hésitation, il effleura du bout des doigts le pelage de Lou, et trotta de ses pieds nus aux côtés de Stella, traversant les rues, le bout de son nez se fronçant de curiosité.

Il ne se rappelait pas être allé dans cette partie de la ville. Les rues ne lui étaient pas vraiment familières, alors qu’il savait se repérer presque partout à présent, à force d’errer sans but dans Hellwood. Il en était encore à dévorer du regard les bâtiments qui les entouraient, en se demandant lequel serait le plus joli à dessiner, lorsque Stella arrêta sa progression devant un immeuble relativement jeune. L’enfant redressa la tête en ouvrant la bouche. Elle vivait tout en haut là haut ? Alec ne tarda pas à avoir la répondre, puisqu’il dut monter sept étages à la suite de la jeune fille. Il s’amusait à sauter les marches deux par deux, un sourire au coin des lèvres, sans lâcher la main de Stella.

Enfin, elle poussa la porte, et Alec ouvrit de grands yeux étonnés, balayant l’appartement d’un regard avide. Cela lui plaisait bien… Il ne savait pas pourquoi, mais il régnait à l’intérieur une ambiance chaleureuse. Sans parler, justement, de la bouffée de chaleur qui recouvrit ses joues en entrant. Sans aucun doute, il faisait bien meilleur ici. Du coin de l’œil, l’enfant vit la pluie du dehors s’écraser paisiblement sur les carreaux. Gêné, il resta planté là, devant la porte que Stella avait refermée derrière eux, n’osant pas faire un pas de plus, de peur de déranger… ou de ne pas être à sa place.

Penaud, il la regarda ôter ses chaussures trempées et nettoyer son chien. Lui-même, dégoulinait d’eau de pluie, et n’osait plus faire un geste de peur d’inonder le joli sol de Stella. Cela devait être étrange, d’ailleurs, pour la jeune fille, de voir des gouttes de pluie dégouliner d’un enfant qu’elle ne voyait pas. Alec renifla, et cligna des yeux lorsque son hôte lui donna un pull absolument immense, si bien qu’il se demanda un instant s’il ne s’agissait pas d’une toile de tente. Apparemment pas. Le petit garçon sourit et fourra son nez dans la laine épaisse du pull. Il était chaud. Rapidement, il l’enfila, et le vêtement, qui ne disparaissait pas à son contact, permit à Stella de mieux visualiser l’endroit où son visiteur se trouvait.

Alec avait l’air de trouver le pull particulièrement amusant. Les manches étaient si longues qu’il ne trouvait plus ses mains, et il entreprit de partir à leur recherche, laissant échapper quelques petits rires au fur et à mesure de son jeu. Très vite, il s’assagit pourtant, et se retrouva nez à nez avec une tasse de lait chaud, qu’il renifla avidement. L’odeur brûlante lui piqua agréablement les narines, et il y plongea aussitôt ses lèvres, ce qui lui brûla le palais.

Merci ! s’exclama-t-il après sa première gorgée, c’est très bon…

Le lait chaud et le pull commencèrent à avoir raison des frissons qui l’agitaient, et il secoua la tête, oubliant momentanément qu’elle ne pouvait pas le voir.

- Oui, ça va mieux… Il fait froid dehors. Il faudrait que je trouve une maison comme vous.

Les yeux de l’enfant revinrent détailler l’appartement de Stella avec une admiration proche de l’émerveillement. Rasséréné par le breuvage qui coulait le long de ses veines, Alec souffla posément dans sa tasse pour la refroidir, et ajouta :

- Mais vous vivez toute seule ici… Vous… vous avez pas peur… Je veux dire… Vous avez à vous occuper de tout ?

Il n’y avait pas à dire, c’était bien de l’admiration qui teintait la voix de l’enfant. Il n’arrivait pas à croire qu’elle puisse vivre ici, et réussir à s’occuper d’une maison comme cela. Cela faisait partie des choses qu’il ne parvenait pas à imaginer. Doucement, il descendit de la chaise sur laquelle il s’était hissé, et vint s’asseoir près de Lou, coinçant ses pieds nus sous ses jambes pour les tenir au chaud.

Après un moment d’hésitation, il se mit à caresser prudemment le haut du crâne de l’animal. Il était si joli… Et Alec se sentait si bien, ici. Il avait presque oublié comme la chaleur pouvait être agréable. S’il s’était écouté, il se serait endormi. Mais ça n’était pas poli. Alors il redressa la tête vers Stella et reprit timidement :

- Votre Papa et votre Maman… Ils sont pas là pour vous aider ?

[désolée pour les éventuelles fautes, pas le temps de relire ><]

Stella s'amusait à voir ce pull bouger au rythme des gestes de l'enfant, elle sourit et ferma les yeux, sentant un instant la chaleur du chauffage électrique contre sa peau encore rafraichie par le mauvais temps. C'était un temps habituel à Hellwood mais elle n'arrivait pas à s'y habituer. Elle aurait pu partir bien sur mais une chose la retenait, celle de rencontrer un jour sa mère. Elle ne parvenait pas vraiment à se souvenir du visage de cette femme, seul la douceur des cheveux blés lui remontait parfois, la finesse du corps si jeune de la jeune femme, qui aurait gaché sa jeune vie si elle avait du garder Stella. Elle avait toujours eut l'impression d'être un fardeau, être seule dans cet appartement lui avait permis de ne plus avoir la sensation d'être un poids. Elle vivait de sa propre initiative et sans dépendre d'un autre, c'était à la fois plaisant et nouveau. VOilà pourquoi elle prenait tant de plaisir à passer ses nuits seules ainsi que ses journées. Pour avoir la paix de savoir qu'elle ne dépend de personne.
Lou aussi y était pour beaucoup dans son bonheur. Elle ne dépendait de personne mais en plus elle pouvait s'occuper de quelqu'un qui ne demandait rien en retour, juste de l'affection et à manger. Elle aimait ce chien plus que tout, être séparée de lui ne lui était pas imaginable !

Il n'avait donc pas de maison ? Elle était surprise, comment Alec pouvait-il survivre ainsi, seul dehors ? Elle sauta du bar et s'approcha du gros pull, regardant Alec dans les yeux, se situant mieux maintenant grâce au vêtement :
- Tu n'as pas de maison ? Tu vis seul ? Mais c'est impossible... Tu es si jeune...

Elle avait un peu peur pour lui. Il ne se ferait pas agressé ou enlevé pour la simple et bonne raison qu'il était invisible, mais comment pouvait-il subvenir à ses besoins ? Il devait manger et dormir, comment le faire dehors ? Elle sourit tristement :
- Oui, je vis seule ici, je trouve que c'est mieux ainsi !

Elle regarda par la fenêtre, les gouttes d'eau s'écrasant contre le vitrage en un bruit monotone, les autres facades d'immeubles cachées par le brouillard...
Elle se demanda quand pourrait-elle retrouver sa mère, si cette dernière était toujours en vie... Si elle la reconnaîtrait en la voyant où si elle était passé des centaines de fois à côté sans même l'apercevoir ! Elle ne l'avait vu qu'une fois depuis ses 3 ans.
Lors du concours de chant, elle était presque sure que cette dame dans la foule, en tailleur, c'était elle. Mais elle n'avait pu la rattraper, elle avait semblé s'évaporer...
Elle regarda Alec, essayant de sourire mais la tristesse peignant son visage :
- Ma mère m'a abandonnée quand j'avais trois ans et mon père est un idiot, je ne peux pas compter sur leur aide !

Elle éclata de rire, c'était plus un rire de haine qu'un rire joyeux. Elle détestait son père plus que tout au monde !
Son regard se fit soucieux, elle posa les yeux sur le jeune invisible :
- Et toi Alec, tu n'as pas de famille ? est-elle invisible elle aussi ?

Le petit garçon redressa timidement la tête et regarda Stella s’approcher de lui, avec un léger mouvement d’appréhension. Oh, il n’avait pas peur, bien sûr… Mais c’était instinctif. Pourquoi craignait-il à ce point la compagnie ou la proximité des gens ? Il avait toujours l’impression qu’il n’était pas à sa place. Que ce n’était pas lui que les gens cherchaient. Pourtant, cette jeune fille l’avait accueilli chez elle, lui avait donné à boire et offert un pull pour se réchauffer. Et maintenant, elle posait dans sa direction des yeux inquiets. Alec battit des paupières en observant un peu mieux le visage de Stella. Il y avait une réelle douceur qui en émanait. Il aurait bien voulu ré essayer de la dessiner.

L’enfant secoua la tête et se concentra sur les paroles de la jeune fille, tout en plongeant à nouveau ses lèvres dans le lait chaud. Non, il n’avait pas de maison… Enfin, si… Sa maison était toujours là où elle avait été… Mais il n’avait pas osé y retourner, depuis que… depuis qu’il… Alec se mordit la lèvre, puis hocha la tête, oubliant qu’elle ne pouvait pas le voir.

- Oui, je suis tout seul, mais c’est pas grave, vous inquiétez pas. Je vais bien.

Difficile de savoir si c’était la vérité, mais en tout cas, le petit garçon était sincère. Il n’avait jamais vu la solitude comme un poids impossible à supporter. C’était… plutôt une habitude à prendre et à accepter. Une habitude parfois douloureuse et étouffante. Mais ce n’était pas… si grave. Ou du moins, Alec avait fini par se persuader que ça ne l’était pas. En revanche, il sentit sa gorge se nouer en reprenant :

- Mais j’ai une maison… Je… J’ai un peu oublié où elle se trouve… Et je peux plus y retourner maintenant, à cause de ça.

Et pour toute explication, il agita ses petites mains invisibles, perdues dans les plis du pull, qui suivit le mouvement, comme s’il se balançait tout seul dans les airs. C’était de la pure logique. Comment rentrer à la maison alors qu’on ne le voyait plus ? Ses parents n’auraient pas compris. Mais comme toujours, Alec commençait à se demander s’il avait eu raison… Peut-être son père aurait-il été aussi compréhensif que Stella.

L’enfant noya ses doutes dans sa tasse de breuvage fumant, tout en guettant la jeune fille du coin de l’œil. Elle disait que c’était mieux de vivre seul… mais pour une raison étrange, Alec n’arrivait pas à être sûr qu’elle le pensait vraiment. Il y avait comme une note de tristesse, sur son doux visage. S’il ne pouvait deviner pourquoi, il en fut touché, comme si lui-même en était responsable. Il reposa sa tasse délicatement à côté de lui, et redressa des yeux inquiets vers elle, au moment où elle laissait échapper un rire qui lui fit venir un frisson.

Il ne réfléchit pas, et saisit soudainement la main de Stella, pour la serrer avec douceur et hésitation. Il sentit ses joues le brûler, et lutta contre le réflexe qui lui sommait de la lâcher immédiatement, parce que ça n’était pas poli. Mais le fait d’être Invisible le rassura, et il murmura :

- Je suis désolé, pour ta maman et ton papa. Mais tu sais, je crois que c’est pas si bien que ça, d’être seul, quand on peut être avec quelqu’un. Tu vois, j’crois… j’crois qu’c’est pour ça qu’on me voit plus. Tu es triste, quand tu es toute seule, moi je le vois. Et j’aime pas voir les gens tristes.

Il lâcha doucement sa main, et se blottit par réflexe contre Lou, qui lui apportait une chaleur supplémentaire à celle du pull qui l’enveloppait déjà tout entier. Ses membres s’engourdissaient doucement, et les courbatures dans ses jambes, à cause de trop marcher, s’atténuaient peu à peu. Il laissa passer un moment de silence. Sa famille… Il ne savait pas. Et cela le rendait triste, lui aussi. Sa voix trembla, lorsqu’il reprit :

- Ma famille aussi, elle était triste, souvent… J’voulais les aider, mais j’étais pas… Je savais pas comment. Je sais pas où ils sont, maintenant… Mon papa et ma maman sont toujours à la maison… Ma grande sœur, ‘Linn, ils m’ont dit qu’elle était partie. Et après mon frère Will, il est parti aussi, et Hywel… Je sais pas où ils sont, je les cherche.

Le petit garçon trembla légèrement, bien qu’il soit au chaud. Pour l’instant, ses recherches s’étaient révélées bien vaines… et il ne savait pas vraiment où chercher. Il poussa un faible soupir mais n’ajouta rien, le regard perdu dans le vide.

Elle sourit en sentant que Alec s'approchait d'elle. Elle écoutait ce qu'il lui disait mais faisait aussi attention au ton tremblant qu'il avait. Remuer cela lui faisait mal elle en avait conscience. Elle lui demandait beaucoup peut être. Se souvenir et devoir le dire à une inconnue... C'était beaucoup.
Elle comprenait mieux, il était invisible bien sur, comment revenir chez soi quand on à disparut de l'oeil de sa famille, qu'il ne peuvent plus nous voir ? Il devait avoir peur de leur réaction, comment ils réagirait en s'aperçevant que leur fils était toujours en vie, mais qu'il ne pouvait le voir...
Il lui appris aussi comment pouvait-on devenir invisible. Cela collait avec ce qu'elle avait lu sur les disparitions... On ne s'apperçevait pas de ces disparitions, tout simplement parce que ceux qui devenait invisibles étaient ceux qu'on avait déjà oubliés !
Elle trouvait cependant révoltant de se faire oublier de sa propre famille...
Il parla de cette famille, de sa soeur entre autre.
A l'évocation du diminutif de cette dernière, Stella sursauta. Etait-ce le diminutif de... Aislinn...
Elle ferma les yeux, sentant comme une lance lui transpercer le coeur. Oui, c'était bien elle. Il s'appelait Alec, Stella se souvenait des quelques fois où elle avait entendu ce nom. Alec Eirlys, le petit frère d'Aislinn !
Elle s'accroupit et serra l'enfant dans ses bras, une larme coulant sur son visage. Elle murmurait :
- Ta soeur... Aislinn, elle est devenue invisible elle aussi... Ce n'était donc pas un sucide ! C'est cela ?

Une pensée lui traversa l'esprit, et si c'était sa faute ? Depuis qu'elle avait quitté leur groupe pour continuer une carrière solo, elle avait entendu qu'Aislinn ne fréquentait plus personne, puis qu'elle était morte, ou plutot qu'elle avait disparut !
Stella baissa la tête, murmurant tout doucement :
- Aislinn... Je suis désolée

En temps normal, Alec aurait été gêné. Surpris. Mal à l’aise. Là… Il n’esquissa même pas un sursaut ou un geste de recul lorsque Stella s’accroupit pour le serrer dans ses bras. S’il ne comprenait pas bien sa soudaine réaction, il ne chercha pas à comprendre. Il avait passé tellement d’années –enfin, disons les quelques années de sa jeune existence, jusqu’à présent- privé de ce genre d’étreinte qu’il était à la fois curieux et impressionné d’en être l’objet. Il ferma les yeux et pinça les lèvres, le cœur battant un peu plus vite. Il avait bien vu cette larme couler sur le visage de sa nouvelle amie. Il ne savait pas s’il en était responsable ou non, mais elle le touchait au cœur. Pourquoi était-elle si triste ? Il sentit sa gorge lui faire mal, retenant des sanglots. Lui aussi, voulait pleurer avec elle… Mais quelque chose lui disait que ce n’était pas une bonne idée. Il fallait qu’il soit fort, pour aider les gens. Pour les réconforter.

C’est ce qu’aurait fait un super héros, n’est-ce pas ? C’est ce qu’aurait fait Will ? Alec sentit un poids tomber dans son cœur à la pensée de son frère. Il aimait beaucoup penser à sa famille, car il avait l’impression de la faire revivre, chose qui lui semblait vitale. Mais en même temps, c’était si dur, de songer qu’ils n’étaient plus là… peut-être pas autant que s’il avait osé leur montrer son affection. Il s’en voulait pour cela aussi. Mais pour l’heure, Alec laissait la jeune fille le serrer contre elle, et entendait son murmure juste contre son oreille. Elle parlait d’Aislinn. Comment connaissait-elle son prénom ? Comment la connaissait-elle ? Un espoir fou illumina un instant le visage de l’enfant. Peut-être Stella savait-elle où était Aislinn !

L’espoir fugace s’évanouit au moment où le mot « suicide » teintait à ses oreilles. L’enfant fronça les sourcils. Une sensation étrange s’insinua en lui, comme un serpent le long de son dos. Il ne savait pas ce que voulait dire ce mot… mais il lui faisait affreusement peur. Alec cligna des paupières et s’éloigna légèrement de Stella pour poser sur son visage un regard inquiet et perdu.

Que voulait-elle dire ? Elle demandait si Aislinn était devenue invisible… Le cœur du petit garçon loupa un battement. La vérité c’était qu’il n’en savait rien… mais qu’il l’espérait de tout cœur. Car ainsi, il avait une chance de la retrouver. De les retrouver. Il fronça les sourcils… pourquoi Stella s’excusait-elle ? Une foule de question se bousculèrent sur ses lèvres, et sa voix lui parut bien précipitée, lorsqu’il articula finalement :

- Je… Je ne sais pas, je suis désolé. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Mon Papa m’a dit qu’elle ne serait plus là, qu’on ne pourrait plus jamais la revoir, alors j’ai été très triste, parce qu’elle ne m’avait pas dit pourquoi elle partait, et que je lui avais pas dit au revoir… Peut-être qu’elle est devenue Invisible. Je voudrais, oui…Comme ça je pourrais la retrouver.

L’enfant marqua une pause, buttant sur les mots tant ses émotions contraires lui jouaient des tours. L’inquiétude se succédait au soulagement, qui lui-même se succédait à l’incompréhension la plus totale. Alors… Le hasard lui avait fait rencontrer une ancienne connaissance de sa grande sœur. Mais pourquoi s’excusait-elle ? On ne s’excuse que si on a fait quelque chose de mal… Elle n’était pas l’amie d’Aislinn ?

- Mais vous… Vous connaissez ma grande sœur ? Aislinn… Comment vous savez qu’elle s’appelait comme ça ? Et comment vous saviez qu’elle avait disparu ?... C’était une amie à vous ? Pourquoi vous dîtes que vous êtes désolée ?

Une dernière question lui brûla les lèvres, et s’arrêta un instant, terrible, comme suspendue dans l’air. Le petit garçon était terrifié à l’idée de seulement prononcer le mot qui lui faisait si peur. Il serra sa main froide dans celle de Stella, et ajouta d’un ton étouffé :

- Et… ça veut dire quoi, un suicide ? Qu’est-ce qu’elle… a fait, Aislinn ?

Stella sentit la douleur du jeune garçon et s'en voulut d'avoir parlé aussi vite. C'était bien son frère alors, le frère de son ancienne amie, qu'elle avait presque abandonnée du jour au lendemain pour continuer une égoïste carrière solo. Quand elle avait appris que celle-ci était morte, qu'elle s'était probablement sucidée, elle s'était accusée pendant longtemps, avant de décider d'aller de l'avant malgré sa douleur, que ressasser les souvenirs n'était pas une bonne chose. Alors elle avait continué malgré ses blessures...
L'espoir que lui avait redonné Alec en lui apprenant que les invisibles existaient, que Aislinn était peut-être l'un d'eux l'avait rendu heureuse, avant qu'elle se rende compte que si c'était le cas, Aislinn devait la détester du plus haut point pour l'avoir abandonnée, délaissée...
Elle baissa la tête et chercha ses mots, expliquant :
- Un sucide, c'est quand quelqu'un se donne la mort volontairement, en se tuant...

Et c'était ce qu'elle avait cru, que Aislinn s'était donnée la mort, c'était peut-être faux après tout, peut être que la solitude l'avait faite devenir invisible... Une larme coula sur sa joue, elle articula :
- Si ta soeur est devenue une invisible... Il est possible qu'elle cherche à me tuer...

Elle hésitait à finir sa phrase, réveler à Alec qu'elle serait une des raisons de l'invisibilité de sa soeur, sa soeur qu'il avait l'air d'aimer par dessus tout ! Elle ne lui dit pas, il l'apprendrait surement un jour de toute façon, où elle lui dirait elle-même, curieuse d'un quelconque réaction de sa part.
Aislinn devait la haïr, si elle n'était pas morte... Cela lui faisait froid dans le dos. Elle baissa la tête, le frère de Aislinn était chez elle, elle ne savait pas si la jeune musicienne aimait ce dernier mais elle avait toujours, à l'époque où elles étaient amies, elle l'aimait profondément.
Elle pouvait encore se souvenir de leurs conversations pendant une promenade nocturne, Aislinn était assez solitaire mais au début, bien que Stella avait l'impression de s'être un peu imposée à elle, Aislinn se révela une excellente amie... Elle avait beau se poser la question, Stella ne savait plus pourquoi elle avait choisit de partir du groupe !

Voilà, elle l’avait dit. Le mot était aussi terrible qu’il l’avait cru. Plus, probablement. Un instant, Alec demeura impassible, comme si son esprit trop enfantin formait une barrière imperméable à la dureté du monde des adultes. Non. Ca ne pouvait pas vouloir dire ça. Une lame tout aussi invisible que le petit garçon lui parut s’enfoncer dans son cœur, si froide. Ca ne pouvait pas être ça. Alec sentit une larme rouler sur sa joue sans qu’il ait la force de la retenir. Linn n’aurait jamais pu faire ça. Personne ne pouvait faire ça… sauf s’il était vraiment, vraiment malheureux. Aislinn était malheureuse ? Il ne le savait pas…

Et il s’en voulut, soudain, de ne pas l’avoir su. S’il avait fait plus attention… S’il avait fait autre chose que regarder l’histoire se dérouler… peut-être qu’il aurait su. Et qu’il aurait pu faire quelque chose pour elle. La sauver. Mais non. Ce n’était pas possible. Elle ne s’était pas… comment Stella avait dit, déjà ? Suicidée. C’était tout bonnement impensable. Pourtant, quelque part dans sa tête, une voix le narguait… Une voix logique, froide, raisonnable, qui lui soufflait doucement : et bien voilà… voilà qui expliquerait tout. C’est pour cela qu’elle n’est plus là. C’est pour cela que tu n’arrives pas à la retrouver.

Alec eut un haut le cœur et étouffa un sanglot. Nan c’était pas vrai ! Ca pouvait pas être ça ! Il secoua vivement la tête. Il ne pouvait pas le croire. Il n’avait pas le droit de le croire… car si tel était le cas, alors il n’avait plus aucune chance de retrouver sa sœur, même avec toute la volonté du monde. Il devait croire qu’elle n’aurait pas fait ça. Il devait croire en elle. Alors il balbutia entre deux sanglots :

- Non… Non c’pas vrai. ‘Linn elle… Elle a pas fait ça… Elle aurait pas fait ça… Je sais qu’c’est pas ça !

La voix du petit garçon s’altéra, et il se surprit à chercher refuge dans les bras de Stella, comme à la dernière chose capable de lui fournir un peu de chaleur. Elle devait lui dire que ce n’était pas vrai, hein ?... Elle le fit. Elle émit la possibilité qu’Aislinn soit elle aussi Invisible. Au milieu de son chagrin, le cœur lourd, Alec réussit à maîtriser ses sanglots et à redresser la tête jusqu’à elle. Il n’avait pas la moindre idée de comment fonctionnait cette sorte de « pouvoir », comme il l’appelait gentiment. Il ne savait pas comment on devenait vraiment invisible… il avait juste l’intuition qu’il fallait déjà l’être bien avant. Pour lui, cela avait été presque naturel.

Mais peut-être avait-elle raison… Peut-être ‘Linn était-elle devenue Invisible. Alors, comme lui, elle serait partie de la maison, parce qu’elle n’aurait pas su où aller. Oui, voilà… Cette hypothèse le rasséréna légèrement. Mais alors… ça voulait dire qu’à la maison, maintenant, Papa croyait peut-être que lui aussi, il s’était… siciu… seci… suic… suicider, voilà, c’est ça. Un frisson le parcourut. Pauvre Papa.

Les paroles étranges de Stella le sortirent de sa torpeur, et il la regarda avec des yeux ronds, comme s’il venait de lui pousser soudainement une seconde tête.

- Qu… Quoi ? M… mais n… non… balbutia-t-il péniblement.

Aislinn voudrait tuer quelqu’un ? Quelqu’un de si gentil ? Si Stella n’avait pas eu l’air si sérieux, il aurait sans doute ri de la plaisanterie. Sauf que ce n’était pas une plaisanterie. Le petit garçon commença vaguement à paniquer.

- Bien sûr que non ! Vous vous trompez, ‘Linn ne ferait jamais de mal à personne ! Elle est très gentille, c’est juste que… elle a pas envie de le montrer. Faut pas avoir peur, je vous jure, elle vous fera pas de mal !

La vérité c’était qu’il ne comprenait pas un traître mot de cette histoire. Pourquoi dont Aislinn voudrait s’en prendre à quelqu’un ? Ca n’avait pas de sens… A moins que Stella n’ait fait quelque chose de grave. Mais non, ça aussi, ça n’avait pas de sens. Elle semblait si triste, si bouleversée en parlant d’Aislinn. Alec ne put s’en empêcher, il posa la question qui le tourmentait :

- Mais pourquoi ? Pourquoi voudrait-elle vous tuer ? Vous avez fait une bêtise ? Peut-être qu’il faudrait juste dire « pardon »…

Et les grands yeux de l’enfant, que Stella ne pouvait voir malgré leur couleur vert fluo, se relevèrent vers elle, pleins de confusion.

Elle n'aurait pas du... Elle sentait la souffrance d'Alec face à la dure réalité que lui imposait cet horrible mot. Sucide, c'était vraiment horrible de penser que certaine personnes se donnaient la mort ainsi ! Elle trouvait même cela assez égoïste, pour vivre, il fallait se battre, se tenir debout chaque jour pour mériter son bonheur. Quand on se donnait la mort on baissait les bras, alors que la vie t'apprend chaque jour qu'il ne faut jamais les baisser !

Elle hésitait à lui dire pourquoi Aislinn la détestait, du moins en théorie, car elle n'était pas sure que çe fut le cas. Les mots se cognaient dans son esprit et un voile flouait son regard, trop d'informations arrivait aujourd'hui, trop de sentiments. La joie de savoir qu'Aislinn était peut-être en vie, la peur qu'elle lui en veuille, le doute, puis la tristesse d'avoir blessé Alec. C'était trop pour la jeune fille qui depuis ce jour avait vécu assez simplement sans se prendre la tête.

Elle sourit tristement à Alec, bien sur elle savait que Aislinn pouvait être très gentil, d'une gentillesse infime même, sauf qu'elle ne le montrait jamais. Mais là c'était différent... Tout était différent de l'époque où Stella et Aislinn étaient amies. Elle baissa la tête et dit d'une voix calme et douce, mais qui tremblait légèrement :
- Je sais que ta soeur peut se montrer gentille... Mais là, j'ai commis envers elle la pire des erreurs !

L'abandonner, voilà ce qu'elle avait fait, purement et simplement. Elle était partie sur un coup de tête, décidant qu'elle perçerait mieux toute seule ! C'était faux en plus, elle avait du mal à se faire connaître... Alors en plus elle était seule, seule sans son amie...
Depuis toujours c'était comme une malédiction, sa petite soeur emportée par une maladie, sa meilleure amie tuée dans un accident de voiture, sa mère qui l'avait abandonnée... Et puis elle était partie, s'enfermant elle seule dans une solitude froide. C'était peut être aussi pour ça qu'elle était partie, ne pouvant se résoudre à avoir des amis... Elle se souvenait aussi une fois d'avoir eu peur qu'il ne leur arrive malheur par sa faute, si elle trainait la mort derrière elle..
Et là c'était surement par sa faute qu'Aislinn était maintenant invisible au regard des autres... Elle était morte de honte, aurait aimée devenir invisible à cet instant pour disparaître... Tellement elle s'en voulait de ce qu'elle avait fait ! Elle regarda Alec :
- Nous faisions partie du même groupe de musique avec ta soeur, j'étais la chanteuse... Puis je suis partie, je les ai laissés. A partir de ce moment, Aislinn s'est un peu renfermée sur elle-même, puis elle à disparut... C'est ma faute... Je...

Zut, elle recommençait à pleurer... Elle qui aurait voulut rassurer Alec, lui dire des choses qui apaiserais sa tristesse, elle n'arrivait qu'à pleurer tant les souvenirs qu'elle évoquait étaient douloureux, elle essuya ses larmes, essaya de sourire mais ce fut une pale tentative bien ratée, finalement elle ferma les yeux, et murmura encore pour elle-même "je suis désolée..."

D’un revers de manche, Alec essuya ses joues humides. Il n’aimait pas pleurer… D’ailleurs, qui aimait pleurer ? Personne, sans doute. Parce que ça faisait mal. Parce qu’on était malheureux. Le petit garçon n’avait jamais eu la chance de pleurer de joie, aussi associait-il automatiquement les larmes avec la souffrance. Mais ce n’était pas parce qu’il souffrait, qu’il n’aimait pas pleurer. C’était parce que ce n’était pas courageux. Parce que ça ne menait à rien, de pleurer… Parce que ça ne sauverait pas les gens, ni sa famille, qu’il pleure ainsi. Oui. Ses larmes n’allaient pas l’aider à retrouver sa sœur. Et puis…

Stella s’était mise à pleurer, elle aussi. Et ce qu’il devait faire, c’était la réconforter, même s’il ne comprenait pas grand-chose des subtilités de la situation. Pour lui, les choses auraient pu être claires. Sa toute nouvelle amie se sentait coupable et demandait pardon en pleurant. Et quand bien même ce n’était pas à lui d’accorder le pardon en question, il ne pouvait pas se contenter de la regarder se rendre si malheureuse. Le petit garçon se mordit la lèvre. Quelle erreur avait-elle pu commettre pour qu’elle se mette dans un tel état ? Aislinn serait-elle vraiment capable de lui faire du mal ? De lui en vouloir ? Pouvait-il vraiment la retrouver ?

Son cœur loupa un battement à cette pensée, puis il battit des paupières, tandis que Stella tentait de lui expliquer ce qui s’était produit. Il était difficile, pour un esprit aussi candide que celui d’Alec, de saisir ce que tout cela signifiait. Oh, il comprenait… Il comprenait que Stella avait décidé de quitter le groupe de musique de sa sœur. Mais à ses yeux, cela n’avait rien d’une faute. Il ne voyait pas en quoi Aislinn pourrait en être si blessée… Peut-être lui-même avait-il trop eu l’habitude d’être ignoré, pour réaliser que c’était si grave, d’être soudainement abandonné.

Et puis… il comprenait autre chose, dans les paroles de Stella. Et si ce n’était pas seulement elle… si c’était tout le monde, qui avait poussé ‘Linn à disparaître ? Si, lui aussi, avait oublié de la regarder, de faire quelque chose pour elle, de lui montrer qu’il l’aimait ? Alors… si c’était bien pour cela que ‘Linn avait disparu… il était tout aussi responsable que Stella. Le petit garçon ravala sa salive, sa respiration s’accélérant.

- Y faut pas pleurer… murmura-t-il sans vraiment avoir pris le temps de réfléchir à ce qu’il fallait dire.

C’était presque un instinct. Il ne supportait pas de voir les gens si tristes. Et le visage de Stella reflétait tellement de détresse et de douleur qu’il avait de la peine pour elle. Il ne pouvait pas seulement imaginer qu’on puisse lui en vouloir pour quoi que ce soit. Elle avait l’air si coupable… Il hésita un instant. Que dire ? Que faire ? Il avait le cœur au bord de lèvres. Il n’était pas habitué à réconforter les gens ainsi. Surtout quand lui-même se sentait tout tremblant d’émotions. Pourtant, il le fallait. Il s’était promis d’aider les gens, quels qu’ils soient. Stella n’était pas différente. Elle avait besoin de soutien. Mais quel genre de soutien pouvait donc offrir un petit garçon de dix ans ?

Alec ne se posa pas plus longtemps la question… Face à l’appréhension, l’assurance qu’il avait acquise en devenant invisible reprit le dessus et lui donna un peu de courage. Il se redressa légèrement se hissant sur ses genoux pour arriver à hauteur du visage de Stella, et après un bref instant d’hésitation, il se mit en devoir d’effacer très délicatement les larmes qui coulaient sur les joues de la jeune fille.

- Je préfère quand tu souris… ajouta-t-il avec une petite moue qu’il tenta de rendre rassurante, ce qui semblait bien difficile, vu la situation.

Il ne sut pas s’expliquer la raison pour laquelle il venait de passer soudainement du « vous » poli au « tu ». Peut-être les confidences aidaient-elles à le mettre en confiance… L’enfant inspira profondément, puis reprit :

- Ce n’est pas ta faute, Stella, c’est pas vrai. J’crois que… J’crois que si vraiment ‘Linn a disparu parce qu’elle était toute seule… Alors c’est la faute de tout le monde. De moi aussi… Passque chuis son frère, mais que j’ai pas dit que je l’aimais. Alors elle est partie…

Le petit garçon sentit ses lèvres trembler sous ses propres mots. C’était la vérité. Il n’avait pas fait ce qu’il fallait. Il n’avait pas été un bon petit frère… et il donnerait n’importe quoi pour y remédier. Sa voix se fit encore plus douce, plus enfantine, tandis qu’il ajoutait :

- T’inquiète pas. Je suis sûr que t’as rien fait de mal. C’est pas grave… T’avais le droit de partir, si tu pensais que c’était mieux… ‘Linn ne t’en veut pas, c’est… tu vas voir, on va la retrouver, et on lui dira. On lui dira qu’on est désolés.

Difficile de savoir si l’enfant croyait vraiment en ses propres mots, puisque l’expression de son visage était invisible… mais le ton de sa voix laissait penser qu’il était sincère. Ou qu’il essayait de se rassurer lui-même, en même temps que Stella.

Il essayait de la rassurer par des paroles apaisantes, et du même coup peut-être se rassurer lui-même... C'était assez attendrissant de le voir buter sur ses mots, même si elle savait qu'il faisait cela car il était triste, triste en partie par sa faute. Elle lui avait appris la signification d'un des plus terribles des mots, le sucide... Elle lui avait donné l'espoir de peut être retrouver sa soeur, espoir qu'il semblait avoir perdu ou n'avoir jamais eu...

Alors elle sourit, fermant les yeux, le rouge lui montant au joues car elle avait pleuré juste avant. Elle serra Alec dans ses bras, le regardant tendrement. Elle lui dit d'une voix douce :
- Si c'est ce que tu veux, on la retrouvera, on pourra toujours essayer de lui expliquer !
Elle doutait de pouvoir y arriver, avait peur de ce qui pouvait se passer, mais pour le bonheur d'Alec, elle était prête à tout. Elle ne pouvait supporter les sanglots de cet enfant délaissé, invisible aux yeux des autres.
Si on ne pouvait le voir, il était quand même là, ce n'était pas parce que l'air était invisible qu'il n'était pas là par exemple ! Si il n'était pas là, personne ne pourrait vivre sur ce monde. C'était surement un peu pareil pour les invisibles. Elle avait entendu dire qu'une personne avait été sauvée par un invisible, et ils devaient faire bien d'autre chose dans l'ombre...
Sans qu'on puisse le savoir... Mais ils étaient là !
Elle regarda la fenêtre, voyant le ciel qui s'éclaircissait :
- Tu sais Alec, je suis heureuse de t'avoir rencontré. Je crois que maintenant, ma vie est un peu meilleure... Comme à chaque fois qu'on apprend quelque chose de bénéfique !

Elle regarda Lou, qui s'était endormi dans son panier, le museau paisiblement posé entre ses deux pattes. Ses longs poils cachaient ses yeux, il était très mignon comme ça, enfin calme, ce qui faisait de grandes vacances à Stella !

Alec sentit ses épaules s’affaisser. Une vague de soulagement le parcourut de part en part. Stella acceptait de s’expliquer avec sa grande sœur. Mieux encore, elle utilisait le futur, ce qui rasséréna l’enfant. Oui, il allait retrouver Aislinn, un jour ou l’autre. Et il avait bien l’intention de faire en sorte que cela arrive vite. Elle lui manquait plus qu’il n’en avait eu l’impression au départ. Il s’était tellement habitué à être seul qu’il n’avait pas tout de suite réalisé ce que la vraie solitude signifiait. C’était lorsque les membres de sa famille n’étaient plus là, qu’il comprenait à quel point il avait pu tenir à eux. A quel point il tenait encore à eux, d’ailleurs…

Le petit garçon fronça légèrement les sourcils, arborant une expression déterminée que Stella ne pouvait certes pas voir, mais qu’elle pouvait au moins sentir au mouvement du garçon, et aux muscles de son dos qui se détendaient petit à petit contre elle. S’il n’était pas habitué aux étreintes, du moins réalisait-il qu’il les adorait… Elles étaient chaleureuses, et uniques. Aucun d’entre elles n’était identique à la précédente. Alec soupira doucement. Alors voilà, à présent il avait un plan… un but qu’il avait failli oublier, et qui revenait en force, plus net que jamais, grâce à sa rencontre avec Stella. Rencontre si hasardeuse, et pourtant si bénéfique. Grâce à elle, il allait retrouver sa grande sœur. Et avec elle, il demanderait pardon à Aislinn. Et ensuite il lui ferait un câlin, à elle aussi… Parce que c’était bien, les câlins.

Doucement, il hocha la tête, et ses lèvres articulèrent un petit « Oui » pour approuver les paroles de sa nouvelle amie. Il avait bien trop parlé. Plus qu’il n’avait parlé depuis bien longtemps, lui qui avait tellement de mal à s’exprimer devant les autres. Il se sentait un peu penaud, maintenant. Et un peu fatigué. Peut-être était-ce dû à la chaleur environnante, qui endormait peu à peu ses sens. Peut-être… Toujours est-il qu’il fut surpris des paroles qui suivirent. Un instant, Alec eut du mal à les comprendre. Il cligna des yeux plusieurs fois de suite, comme s’il s’éveillait… ou tentait d’échapper au sommeil.

Quelque chose de bénéfique ? Lui ? Vraiment ? Le sourire qui naquit sur le visage de l’enfant fut tout simplement rayonnant. Simple, sincère. Stella n’avait pas la chance de l’observer, mais elle le sentit dans la main qu’Alec posa sur sa joue, en un geste qu’il ne contrôla pas. Elle n’aurait pu lui faire plus plaisir. A cet instant, il sut, encore plus clairement qu’auparavant, que c’était ce qu’il voulait faire. Faire du bien aux gens. Leur apporter quelque chose de « bénéfique ». Cela aurait pu être présomptueux… si seulement il avait su ce que cela voulait dire. Mais la naïveté emportait tout sur son passage. Et la joie que lui procurait ce moment dépassait de loin toute autre considération. Oui, il aiderait les gens. C’était décidé.

- Merci, Stella… répondit-il doucement, sa voix toujours aussi tremblante, aussi peu sûre d’elle, je… moi aussi, je suis content de t’avoir rencontrée. Personne avait été aussi gentil avec moi, tu sais… Enfin… les gens que je connais pas, je veux dire… D’habitude ils me voient pas. Même avant.

Le chevrotement dans sa voix n’était pas signe d’un nouveau sanglot, mais plutôt d’une joie nouvelle qu’il ne maîtrisait pas encore tout à fait. C’était étrange… maintenant qu’il était invisible, il découvrait qu’on pouvait le voir. La vie avait quelque chose d’infiniment ironique. Mais Alec n’allait certainement pas partir dans ce genre de considérations philosophiques. Surtout pas à son âge. Il se contenta de se hisser un peu plus haut pour atteindre la joue de Stella et y déposer un baiser, chose qui le fit immédiatement rougir jusqu’aux oreilles.

- Alors merci d’être comme ça avec moi… Je te promets que je dirais à Aislinn que c’est pas ta faute. Parce que je vais la retrouver… Et puis je sais ce que je veux faire, aussi…

L’enfant s’éloigna légèrement pour s’appuyer avec précaution contre le chien endormi à côté de lui, qu’il observa un instant avec ravissement, avant de reprendre, l’air déterminé :

- J’vais aider les gens. Tu sais… j’ai entendu dire par d’autres gens comme moi, qu’il y a des personnes qui protègent les habitants. Les Chimères, c’est comme ça qu’ils sont appelés. C’est joli… J’vais aller les voir, pour les aider.

Il y avait une sorte d’interrogation, dans sa voix, comme s’il attendait malgré tout l’approbation de Stella, pour être sûr qu’il faisait la bonne chose. Après un moment d’hésitation, il effleura le pelage de Lou du bout de l’index, perdant ses yeux dans les étranges nuances de couleurs de l’animal.

- J’voudrais bien te dessiner, toi aussi… murmura-t-il au chien, tout en étouffant de peu un bâillement.

Journée étrange qui se déroulait sous les yeux de Stella, qui commençait un peu à se perdre, elle se demandait comment elle n'avait pu voir avant ces habitants que tout le monde oubliait, qui finissait par disparaître...
Elle-même avait considérablement enrichi sa vie en rencontrant Alec, il lui avait ouvert les yeux sur le monde qui l'entourait.
On se plaignait d'être seul à Hellwood, mais qu'est-ce qu'on faisait pour avoir une compagnie, même infime ? Certains, comme elle, avait un chien, où alors ils trainait dans les rares bars, pour essayer de ne pas s'enfermer dans une solitude pourtant inévitable si on ne regarde pas autour de soi.
Elle avait faillit être comme eux, comme tout les autres, elle avait rencontré un invisible.

Elle sentit la joie d'Alec et cela rempli sont coeur de joie à elle aussi. Si elle pouvait le rendre heureux par cette promesse, elle la tiendrais et ferait tout pour l'accomplir. Elle ne savait même pas si Aislinn était en vie, si elle était en colère contre elle ou si tout simplement elle accepterais de l'écouter le moment venu... Peut être le fait de la voir avec son petit frère ne fera qu'augmenter sa colère, en fait elle n'en savait rien...
Il se demanda si il pourrait dessiner Lou, cela la fit rire car elle n'imaginait pas son chien plus d'une seconde au même endroit... Sauf quand il dormait bien sur !
Il bailla après sa phrase et Stella se rendit compte qu'il devait être très fatigué. Elle le souleva, ce qui n'était pas dur car il était blottit contre elle et alla le coucher sur son lit. Elle sourit en lui caressant la tête, sentant les cheveux doux de l'enfant bien que ne les voyant pas. Elle sourit :
- On la retrouvera, je te le promet ! Maintenant, tu devrais dormir...

Elle se dirigea vers un placard et prit une couverture, la mettant sur Alec.
- Si tu es fatigué, dors, quand tu te réveilleras, tu pourra dessiner ce que tu souhaite ! Et on pourra rechercher Aislinn...
Souriant, elle s'assit sur le lit

[désolé pour le petit post je dois aller en cour]

Alec cligna des yeux avec surprise, en sentant subitement le sol se dérober sous ses pieds. Non pas qu’il ait particulièrement le vertige, mais n’empêche, il n’aimait pas trop la hauteur. Instinctivement, ses petits poings se refermèrent sur les vêtements de Stella tandis que la jeune fille le portait jusqu’à son lit. S’il ignorait leur destination, l’enfant faisait suffisamment confiance à sa nouvelle amie pour ne pas s’en soucier. D’autant plus que la chaleur propice du lieu, de la boisson et du pull en laine qui l’enveloppait baissaient considérablement son attention. Il sentait ses paupières s’alourdirent avec une rapidité stupéfiante, et ses mâchoires le démanger de bâiller à nouveau. Il se retint avec une grimace, parce que ce n’était pas poli, puis sentit de nouveau une surface solide sous lui. Une surface plutôt douce et moelleuse. Ca ne pouvait être qu’un lit. Le petit garçon ouvrit des yeux qu’il ne se rappelait déjà plus avoir fermé, pour observer l’endroit où il venait d’atterrir.

Un lit… Alec se demanda un instant depuis combien de temps il n’avait pas vu de lit comme celui-ci. Attirant. Tiède. Moelleux. Protecteur. Doux comme un nuage. Aucun doute… là-dedans, on ne pouvait que dormir à merveille. Et faire plein de jolis rêves. Cela faisait longtemps, aussi, qu’il n’avait plus fait de jolis rêves. Chaque fois, c’était une vision étrange, angoissante, qui le poursuivait jusqu’au réveil. Alec se mordit la lèvre et choisit de ne pas y penser. A la place, il glissa ses doigts le long des draps, comme pour s’assurer de sa première impression. Oui, on dormait bien, ici… Il laissa échapper un petit soupir. Ce n’était pas bien, d’abuser comme ça de l’hospitalité des gens. Mais il était si fatigué… et ce lit était si doux. Il se mit à sourire en sentant la caresse de la main de Stella dans ses cheveux encore un peu humides. Elle était vraiment gentille… Est-ce que tout le monde était comme ça ? Pourquoi ne l’avait-il pas réalisé avant, alors ? Pourquoi n’avait-il pas ouvert les yeux ?

L’enfant se frotta les yeux. Il n’avait pas envie de réfléchir à ce genre de question… Déjà, le sommeil réparateur commençait à caresser lui aussi ses cheveux du bout des doigts, l’incitant à battre des paupières. Il lutta encore un peu pour entendre ce que Stella lui disait. Qu’il devrait dormir… Oui… C’était une bonne idée, ça, dormir. Et retrouver Aislinn. Ca aussi, c’était une bonne idée. Aislinn et puis Hywel et William, aussi. Tout le monde. Le petit garçon ne réussit qu’à hocher doucement la tête pour approuver les paroles de Stella, juste avant de sentir un nouveau contact, doux, se déposer sur ses épaules. Une couverture… Il la saisit vivement et s’y blottit, recroquevillé comme un animal encore un peu sauvage. Et il murmura simplement, à moitié endormi :

- Merci, Stella… Tu es très gentille… J’voudrais qu’on soye des amis.

A peine cette requête finie que sa tête retomba mollement sur l’oreiller, et que le sommeil l’agrippa avec douceur pour l’emmener dans un monde de rêves. Rêves qui ne furent pas aussi calmes et apaisants qu’il l’avait espéré. Au début, tout allait bien… La respiration d’Alec était lente, sa peau tiède… Il avait tout de l’enfant paisiblement endormi. Et c’était le cas. Il avait cette particularité assez stupéfiante de pouvoir s’endormir en quelques secondes.

L’inconvénient, c’était les images qui s’inscrivaient dans son cerveau et défilaient derrière ses paupières closes. Ce n’était pas toujours les mêmes… Mais au final, il avait peur. Dans son rêve, il retrouvait Aislinn… D’abord il l’apercevait de dos, et puis ensuite, elle se retournait et lui souriait. C’était bien elle. Son cœur se gonflait de joie, et il s’élançait jusqu’à elle. Dans son dos, une voix le coupa dans son élan. Celle d’Hywel, qui s’exclamait « Attends-moi ! ». Et dans un tourbillon, il se retournait jusqu’à elle, pour la voir surgir à son tour. Il sentit sa main se glisser dans sienne. C’était si réel. Il ne manquait plus que Will. William… Il lui suffisait d’y penser, pour qu’il arrive à son tour, juste à sa droite. Alec crut que son cœur allait exploser de joie… Et puis soudain, la main de sa sœur, dans la sienne… il ne la sentit plus. Il se retourna vivement. Elle n’était plus là. En face, Aislinn à son tour commençait à disparaître, et à droite, William tendait la main vers lui et articulait quelque chose qu’il ne comprit pas… avant de disparaître lui aussi dans le néant.

- Nan ! Nan j’veux pas ! Où vous êtes ? Où vous êtes partis ?

Alec s’agitait dans son sommeil, à la frontière du cauchemar et de la réalité, sans savoir qu’il parlait tout haut. Ses mains cherchèrent une présence, n’importe laquelle, pour s’y agripper et échapper au mauvais rêve.

- Revenez… Revenez… gémit-il doucement, en refermant l’une de ses mains sur les vêtements de Stella.

Elle n'avait pas bougé depuis qu'il s'était endormi, bien que ne le voyant pas, elle se rassurait de le savoir endormi. Bientôt, Lou l'avait rejointe, se blotissant au creux de son ventre. Elle avait doucement caressé le canidé, s'attardant plus particulièrement sur la partie sensible située entre les deux oreilles veineuses du chien, lui soutirant un jappement de plaisir. Il lui avait toujours transmis sa chaleur, et en échange il ne demandait que des caresses, ce qui réchauffait d'autant plus Stella. Elle aimait s'attarder sur les taches multicolores du pelage de l'animal, plonger son regard dans celui si intelligent de son chien. Certaine fois il lui semblait qu'il la comprenait, puis ses désobéissement répétés la détrompait, à moins qu'il ne la comprenne à sa façon. Elle sentit soudain le corps invisible d'Alec s'agiter.

Inquiète, Stelle regarda Alec se débattre dans son sommeil, en proie à un rêve dont il ne pouvait pas se défaire. Elle ne pouvait le voir mais sentait qu'il s'agitait. C'était bien différent du calme dans lequel il semblait plongé juste avant. Bien qu'elle n'avait pu le voir, il lui avait semblé deviner sur le visage invisible de l'enfant un esquisse de sourire. Mais il commençait à s'agiter, elle sentait l'air qui battait autour d'elle, signe qu'il allongeait les bras, le sommeil le retenant encore prisonnier. Puis il avait semblé se réveiller, pourtant maintenu par les liens du rêve. Il appelait quelqu'un, plusieurs personnes, elle ne mit pas longtemps à deviner qu'il s'agissait de ses frères et soeurs. Il les appela en vain pendant quelques instants, puis sembla abandonner, leur sommant pourtant dans un sanglots de revenir.

Elle posa une main sur le front brulant d'Alec, il avait de la fièvre, surement le rêve qui s'était transformé en cauchemar. Elle sentit les petites mains d'Alec s'agripper à elle, elle se resserra, ses mains gelées touchant le front chaud du garçon. Elle lui enleva la couverture, il avait trop chaud. Enlevant aussi le pull, elle se remémora les gestes qu'elle faisait lors de ses nombreux baby-sitting. Un bain, c'était la seule chose à faire pour baisser la température. Mais elle ne voulait pas l'abandonner, même le temps de faire couler de l'eau. Se resserrant encore, elle le prit dans ses bras, lui murmurant doucement :
- Ne t'en fais pas... Je suis là. On les retrouveras, je te le promets.

Alec laissa échapper un petit gémissement et sentit la main fraîche de Stella se déposer sur un front brûlant qui était le sien. Ce contact, plus que celui de ses propres mains serrées sur le vêtement de la jeune fille, chassa le cauchemar au loin, rien que par sa netteté et sa fraîcheur si brusque. Cela agit sur l’esprit de l’enfant à la manière d’une douche froide. Il frissonna des pieds à la tête, et lutta contre sa vision oppressante, courant de plus en plus vite pour y échapper. Y échapper… c’était tout ce qui comptait. Il faisait trop chaud, ici. La respiration du petit garçon était haletante et bruyante, comme s’il était en train de s’étouffer. Il sentit un poids lui être ôté des épaules, puis un deuxième, sans parvenir à deviner qu’il s’agissait de la couverture puis du pull. Là, il pouvait respirer un peu mieux…

Dans un dernier effort, aidé des mains fraîches et de la présence de Stella, il s’arracha aux doigts crochus et insistants de son cauchemar, pour ouvrir grand les yeux. La réalité le frappa violemment, le faisant soupirer de soulagement. Un instant, il battit des paupières, et se recroquevilla contre la jeune fille à côté de lui. Il n’était pas tout seul. Elle était là. Il inspira profondément et regarda partout autour de lui, reconnaissant les lieux. Tout allait bien… C’était juste un cauchemar. Un cauchemar qui avait une part de réalité, cependant, puisque ses frères et sœurs avaient bel et bien disparu.

Un frisson glacial le parcourut, vite suivi d’une vague de chaleur. Il ne fallait pas qu’il pense à ça. Ces changements de température, dans son corps, n’étaient pas normaux, il le savait bien. Il sentait ses membres tout engourdis, et avait bien du mal à déplier les jambes. Peut-être que la pluie avait un peu trop mouillé ses vêtements. Peut-être avait-il pris froid, un peu plus tôt ? Alec ne savait pas très bien ce qu’être malade signifiait. Il ne lui arrivait presque jamais de se sentir fiévreux. Il retint un éternuement, et se blottit encore plus contre Stella en gardant résolument les yeux ouverts, de peur que son horrible vision revienne l’assaillir s’il fermait de nouveau les paupières.

- Oui, je… merci, articula-t-il doucement, sa voix rendue un peu rauque par son sommeil persistant qui s’attardait encore.

Il tendit la main et frôla le pelage soyeux de Lou, en esquissant un petit sourire. La présence du chien le rassurait plus encore, même s’il avait l’impression qu’un volcan couvait encore dans sa tête. Il plissa le front, puis réalisa qu’il s’était probablement trop attardé. Combien de temps avait-il dormi ? Il n’en avait pas la moindre idée. Mais déjà, ce n’était pas bien, de s’endormir chez les gens. Encore moins dans leur lit. Il avait bien trop abusé de l’hospitalité de Stella. C’est vrai qu’elle était très gentille. Mais Alec n’avait pas l’habitude… peut-être avait-il l’impression que toute cette gentillesse allait finir par s’enfuir, comme les silhouettes de son rêve, et qu’il se retrouverait de nouveau seul.

L’enfant se redressa prudemment, passant une main sur son propre front, qu’il eut la surprise de trouver tout aussi brûlant que ses joues. Peut-être qu’il avait le visage tout rouge. C’était qu’il était bien réchauffé, alors. Il tenta d’ignorer le fait étrange que le sol lui semblait tanguer comme un bateau, et releva son visage fiévreux en direction de Stella, l’air tout penaud.
- Pardon. Chuis désolé de m’endormir comme ça. J’espère que j’ai pas trop dormi, et que je t’ai pas trop dérangée… J’vais p’t’être…

Le petit garçon se détacha très doucement de l’étreinte de sa nouvelle amie, comme à regret, tout en clignant des yeux pour chasser au loin le souvenir persistant de son rêve dans lequel il perdait un à un les membres de sa famille. L’envie de les retrouver s’en trouvait accrue… tout comme la peur de ne pas y parvenir. De ne pas être à la hauteur. L’impression d’urgence ne fit que s’amplifier. Il fallait qu’il y aille. Pourtant, il se sentait tout… bizarre. Faible. Ses jambes tremblaient un peu tandis qu’il se laissait tomber au pied du lit, cherchant des yeux le peu d’affaires qu’il avait emmené avec lui.

- J’vais p’t’être y aller, continua-t-il sans grande conviction, tout en repérant son sac qui contenait son matériel de dessin, je veux pas te déranger… Et puis j’ai encore du chemin à faire, j’crois… Y faut que je trouve les Chimères pour leur demander s’ils savent où ils sont…

Pas d’explications sur ce « ils », mais cela n’était pas nécessaire. Il parlait bien sûr de sa famille. Sa respiration lui paraissait difficile, comme un fleuve de feu remontant douloureusement le long de sa gorge. Il toussa discrètement, et vacilla jusqu’à ses affaires de dessin, qu’il rangea plus ou moins, sans bien maîtriser ce qu’il faisait. Décidément, être malade, c’était pas drôle.